Il était une fois un pêcheur qui n’avait pas d’argent et qui devait aller pêcher tous les jours pour nourrir sa famille. Il ne possédait en tout et pour tout que sa ligne et sa pirogue. Dès les premiers croassements de grenouille il était déjà en pleine mer et il ne rentrait que tard dans la nuit. Il mangeait au bord de la mer, presque toujours du manioc, et très rarement du riz qu’il préparait lui-même.
Au fond, tout au fond de la mer, vivait un peuple nombreux dont le roi était puissant. La fille du roi tomba malade et les devins, consultés, recommandèrent d’aller chercher des miettes de riz.
Les peuples du fond de la mer ne mangent pas de riz. C’était donc des recherches difficiles que les devins imposaient. Malgré tout, les esclaves s’attachèrent à la mission. Ils remontèrent à la surface de l’eau et sur la berge, ils trouvèrent des morceaux de grains de riz que le pêcheur venait de jeter après son repas. Ils ramassèrent deux grains et revinrent au palais royal. Les devins opérèrent et quatre jours après la petite reine était rétablie.
Alors, dans le palais, ce fut une joie que l’imagination humaine ne peut concevoir. Tout le monde dansa. La joie du roi se propage vite, il ne fut pas une famille qui, à la nouvelle de cette miraculeuse guérison, ne tua un poulet pour son bonheur: la destinée des poulets est de mourir dès l’instant que l’homme éprouve de la joie.
Le roi ordonna à un esclave d’aller chercher le pêcheur-sauveur pour recevoir sa récompense. Autre difficulté. Le pêcheur était un homme de la terre, habitué aux misères, aux privations, dont le trop grand bonheur étonnerait. Malgré tout, il fallait le rechercher et le ramener: le roi tenait à lui remettre un cadeau de sa propre main. L’esclave repartit donc. Il aperçut l’appât et l’hameçon, le saisit et le pêcheur tira, espérant attraper un gros poisson. L’esclave n’opposa pas de résistance et il parvint à la surface de l’eau.
« Ne t’inquiète pas » dit-il au pêcheur, « je viens ici pour t’apporter une bonne nouvelle: le roi veut te récompenser car les miettes de riz que tu as jetées au bord de l’eau et que j’ai ramassées ont pu guérir sa fille malade. Pour marquer sa gratitude, il souhaite te connaître et te remettre quelque chose de sa main. »
« Non, répliqua le pêcheur, je ne suis pas du peuple sous-marin et votre vie d’en-bas ne me dit rien. Non je ne peux pas te suivre. Dis-le à ton roi. »
L’esclave n’hésita pas: il renversa la pirogue, tira le pêcheur par la main et l’entraîna au fond de l’eau avec une telle rapidité que l’esprit ne peut l’apprécier exactement.
Dans le fond, quand l’inquiétude de notre pêcheur se fut un peu dissipée, il demanda où on l’emmenait exactement, qu’est-ce qu’il allait recevoir, que devait-il répondre et surtout, quand il devait revenir sur sa terre. L’esclave rassura le pêcheur: il allait recevoir des récompenses du roi, il reviendra sur terre dès qu’il aurait vu le palais, la famille royale et reçu son cadeau.
« Oui, dit le pêcheur. »
« Seulement, ajouta l’esclave, je te recommande une chose: tâche que le roi ne te remette pas de l’argent mais plutôt qu’il te donne le pouvoir d’interpréter la voix de toutes les créatures de Dieu. »
« Oui, dit le pêcheur. »
« Attention, ajouta l’esclave, que tu ne dises à personne ton secret. »
« Oui, dit le pêcheur. »
Ils arrivèrent. Dès que le pêcheur fut présenté au roi – qui fut le plus étonné ? C’était le roi qui voyait pour la première fois un homme, un être qui a deux yeux comme lui, deux oreilles, une bouche avec une dentition en double rangée, un nez avec deux trous, un menton: bref, une physionomie identique à la sienne. Seulement, ce qui diffère un peu, c’est la démarche: l’homme de la terre est plus droit, celui du « très fond marin » a une position un peu inclinée avec un balancement de main plus marquée.
Le roi offrit de l’argent en quantité appréciable. Le pêcheur refusa, prétextant que ce serait une malhonnêteté de sa part de se faire payer pour un si petit service.
Alors le roi demanda s’il serait désireux d’aller vivre avec les êtres et les choses en connaissant tous les langages. Le pêcheur trouva l’offre acceptable et se déclara satisfait de ce don, qu’il qualifia de miraculeux.
Puis il repartit vers son village. Sur le chemin du retour, fatigué, il s’arrêta pour se reposer à l’ombre fraîche d’un manguier. Des corbeaux nichaient dans le feuillage et se parlaient entre eux dans « le langage d’oiseaux voleurs de maïs ». Le voyageur qui comprenait ce qui se disait fit le mort, espérant pouvoir écouter plus longtemps le parler nouveau. Il se coucha sur le dos, ronfla et montra un peu les dents.
Un des corbeaux dit à son voisin: « »Quel dormeur! »
L’autre répondit: « Je connais celui-ci, c’est l’Antendrovolo, l’espèce poilue de tête, la plus maligne des créations de Dieu. »
« Malgré tout, il dort profondément », répondit le premier.
« Il faut toujours se méfier de lui », recommanda l’autre.
« Je descendrai pour mieux le voir. »
« Prends garde! »
« Tu vois, je touche son ventre, il ne bouge point. »
« Attention, c’est un Antendrovolo, l’espèce à tête poilue! »
« Attends, je vais gratter son oeil… » et avant qu’il n’ait agi, l’homme le saisit brusquement.
Pris par le faux dormeur, le corbeau dit à son voisin: « C’est vraiment un malin, mais je sais aussi que ce petit animal aime drôlement l’argent. Je vais lui révéler l’argent qui est caché au pied du tamarinier, au nord de son village. J’étudierai son langage et quand il m’aura compris, il me lâchera car je lui aurai procuré une fortune immense. »
Sur ce, l’homme sourit et le lâcha. Le corbeau se sauva à tire d’ailes et dit dans son langage: « Il ne me surprendra plus ce nigaud! »
L’homme monta au village. Il ne dit rien à sa femme.
Le lendemain, il vint au pied du tamarinier, y trouva sept cruches pleines d’argent, retira trois pièces de cinq francs qu’il remit à sa femme. Trois pièces de cinq francs, cela représente au moins la valeur de quatre mois de pêche – c’est donc une fortune immense que les pêcheurs n’ont pas toujours l’habitude de manipuler. Mais ces trois pièces ne représentaient même pas la centième partie du contenu d’une cruche, la plus petite des sept.
Notre pêcheur eut donc une destinée faite de bonheur: riche en argent, capable de connaître les paroles de toutes les créations de Dieu et d’être en compagnie d’une femme de son goût.
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